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A la nuit tombée, lundi 23 septembre, le Vélodrome de Berlin est envahi par une drôle de horde : des milliers de diablotins, dont les cornes dodelinent dès que leur idole, Chappell Roan, entonne une chanson. Comme avant chaque concert, l’Américaine avait invité ses fans, sur les réseaux sociaux, à se déguiser en respectant le thème de la soirée – en l’occurrence, My Kink is Karma, le titre de l’un de ses morceaux. Sur le vidéoclip de la chanson, Chappell Roan arbore un serre-tête noir à la gloire du Malin, la peau maquillée de rouge et de blanc.
Même accessoire, même fard : lundi, les dix mille visages qui colorent les travées du Vélodrome ont, pour l’essentiel, joué le jeu. Son premier concert berlinois, en décembre 2023, n’avait réuni que 400 happy few. Le 31 août, la chanteuse de 26 ans aurait dû jouer à la Columbiahalle, dont la capacité atteint 3 500 personnes. Las, face au succès exponentiel et à un emploi du temps encombré de remises de prix en tous genres, le concert a été décalé de quelques semaines, dans une salle trois fois plus grande.
Les Allemands peuvent s’estimer chanceux : la date parisienne, prévue le 3 septembre au Bataclan, a, elle, purement et simplement été annulée. « Waouh…, s’extasie Chappell en contemplant le public. Je n’ai jamais joué devant autant de personnes ! » – exceptions faites des festivals américains dont elle fut, ces derniers mois, l’inattendue tête d’affiche.
A quoi tient cette ascension express ? En anglais, « kink » désigne tout ce qui déroge à la norme – cheveux ondulés, sexualités déviantes et autres excentricités. Il faut voir Chappell Roan interpréter la ballade Picture You, sur scène, pour saisir à quel point elle incarne la quintessence « kink ». Voir ses boucles rousses en bataille, son maquillage forçant sur le strass et le turquoise, sa guêpière à franges cramoisie, constellée d’astres noirs au niveau des tétons, ses bas résille plongeant dans de longues bottes en cuir ; écouter son chant constamment sur la brèche, dont les trémolos, de graves granuleux en aigus aiguisés, ressuscitent d’antiques divas country, Dolly Parton, Patsy Cline et tout le toutim ; la voir, encore et surtout, agiter une perruque blonde et lisse, comme on le ferait d’une marionnette, durant toute la durée du morceau.
Le geste est d’autant plus frappant qu’il illustre, mieux que tout discours, l’écart qui sépare Chappell Roan de la chanteuse qui lui a disputé, en 2024, les cimes des hit-parades américains, Taylor Swift. Celle-ci lissa ses boucles blondes au début sa carrière, à l’instar de son modèle le plus évident, Stevie Nicks ; Roan fait, au contraire, de sa rousseur hirsute l’emblème de ses extravagances, comme le firent, dans les années 1980, Cindy Lauper ou Kate Bush, desquelles sa pop synthétique est régulièrement rapprochée.
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